L'automne avait passé, puis l'hiver, et Pâquerette, maintenant dans tout l'épanouissement de sa délicate beauté, avait été sans conteste la reine de la saison. Reine sans coquetterie d'ailleurs ; elle ne semblait plus prendre aux hommages le même naïf plaisir qu'à son premier hiver mondain, et elle ne faisait rien pour les attirer. Cela ne l'empêchait pas d'ètre très entourée ; et les jeunes gens les plus convoités par les mères de famille imploraient une place sur son carnet de bal. On assurait que le beau Brujac, le fils du plus riche filateur de Rouen, aurait sollicité sa main, si le docteur n'avait pas dit devant lui avec un accent très significatif qu'il ne donnerait jamais sa fille à un homme dont la jeunesse eût été orageuse : cela le mettait hors de cause tout de suite. Parmi les prétendants que l'on considérait comme ayant des chances, on citait le capitaine de Blanville, officier de grand avenir, neveu et héritier du général et jouissant déjà d'une jolie fortune. Le docteur, à la vérité, ne se souciait pas d'un gendre militaire; mais si la jeune fille voulait! il craignait par-dessus tout de lui faire de la peine. On citait encore l'ingénieur des travaux de la Seine, un jeune avocat qui venait d'acheter une charge d'avoué, un architecte pourvu d'une belle clientèle, un jeune professeur du lycée, un peu parent et très ami de M. Dangrune, et le brillant Lantourny, danseur, chasseur, pêcheur, canotier, jouant de tous les instruments et n'ayant pas son pareil pour les charades et la comédie de société. Il savait faire rire Pâquerette, et son père, le baron Lantourny, avait fait bâtir sur toutes les hauteurs qui dominent les côtes de Normandie des villas dont quelques-unes devaient lui revenir. C'était un ancien camarade de Jean Trémisort au lycée de Caen, et il racontait à la jeune fille quantité de scènes de lycée où le nom de Jean se trouvait nécessairement mêlé ; mais personne ne pouvait se douter que ce fût là le motif de la préférence qu'elle semblait lui accorder.
Avril renaissait, et le printemps vidait ses corbeilles de verdure et de fleurs sur la terre hier encore froide et nue ; la famille Auribel venait de se réinstaller à Bois-Guillaume, et le père Dangrune, profitant du jeudi, était venu y passer la journée pour présider à l'arrangement du jardin. Greffard acceptait ses conseils, reconnaissant qu'il savait plus de mots latins que lui. On déjeunait sous la verandah chauffée par le soleil, et l'esprit des quatre convives semblait s'épanouir comme les fleurs de pêcher qui étendaient un glacis rose sur le mur. Le docteur avait plusieurs raisons d'être joyeux ; la principale, c'est que Pâquerette, qui renaissait à la gaîté depuis quelque temps, riait et chantait ce jour-là, que ses yeux brillaient et qu'elle paraissait avoir tout à fait rompu avec la mélancolie.
dit tout à coup Mlle Monique,
Pendant ce colloque, Pâquerette ne disait rien, mais ses yeux brillaient comme deux saphirs. Elle les dirigea par hasard du côté de Dangrune, et rencontra le regard de celui-ci attaché sur elle avec une persistance qui la gêna ; elle rougit et regarda dans son assiette. On continua à parler de Jean, de sa carrière, de son avenir, de son amour pour sa mère, de la joie qu'aurait Agathe en le revoyant. Dangrune, lui, continuait à regarder Pâquerette, et il souriait de temps en temps en mordant sa moustache,
On sortit de table, et Mlle Monique fit servir le café dans un bosquet de lilas qui commençaient à fleurir. Pâquerette prit son chapeau de paille et sortit ; elle avait promis à une jeune voisine d'aller à cette heure-là lui enseigner un point de broderie.
dit le docteur d'un ton mystérieux, quand il eut vu la porte du jardin se refermer sur elle. s'écria Mlle Ollivier, qui n'était pas pressée de se séparer de sa chérie.
interrompit Dangrune d'un ton bourru.
reprit Dangrune avec une petite grimace dédaigneuse.
dit Monique ; dit Mlle Ollivier d'un ton résigné.
Pâquerette, en effet, arrivait du bout du jardin avec la démarche souple et légère d'une jeune nymphe.
lui cria Dangrune,
Pâquerette s'arrêta, et son cœur cessa de battre. Une idée folle lui traversa le cerveau. Les regards de Dangrune... l'éloge de Jean.... sa lettre reçue le matin même.... celle que le docteur attendait, et qui venait peut-être d'arriver pendant qu'elle était sortie... Très troublée, elle s'approcha à petits pas, et se tint debout, s'appuyant d'une main sur le guéridon qui supportait les tasses à café ! Elle était très pâle.
s'empressa d'ajouter le docteur, qui la vit tout à coup passer de la rose blanche à la rose de Bengale. Elle regarda son père et sa tante, très émus tous deux, et Dangrune qui riait. Ce rire la confirma dans son erreur, et la joie de son âme fit rayonner son visage.
reprit M. Auribel. s'écria Pâquerette avec un tel accent de détresse, qu'il ne put rester à personne le moindre doute sur le sort de la demande en mariage.
répondit le père un peu interdit. Et Pâquerette enfouit sa figure dans ses deux mains et éclata en sanglots.
Le docteur et Monique se regardaient, consternés. Dangrune souriait toujours. Pâquerette tout à coup se retourna vivement, prit sa course et s'enfuit vers la maison où on l'entendit ouvrir et fermer plusieurs portes avec la vivacité d'un coup de vent.
dit Mlle Ollivier. reprit le docteur, interrompit Dangrune,
Là-dessus, Dangrune se leva pour aller conférer avec Greffard, et Monique pour aller essuyer les larmes de sa chérie et lui jurer qu'on ne la marierait pas malgré elle.
Cette assurance put seule rendre un peu de calme à l'enfant qui sanglotait la tête dans ses oreillers et ne répondait pas un mot aux tendres paroles de sa cousine. Tante Monique ne mentait jamais : on pouvait la croire. Pâquerette cessa donc de pleurer, releva la tête et montra à la vieille demoiselle son joli visage tout marbré de rouge et encore inondé de larmes.
s'écria tante Monique tout près de pleurer elle aussi. dit Monique, très amusée des propos de l'enfant.
répondit naïvement Pâquerette.
Pâquerette avait repris sa physionomie souriante, et elle y ajoutait un petit air de malice qui la rendait plus jolie que jamais. Ce fut du moins l'avis de Mlle Ollivier, et elle s'apitoya dans son cœur sur le sort de Charles Lantourny : elle était naturellement tendre et compatissante. Mais Pâquerette l'intéressait beaucoup plus que son soupirant évincé, et elle cessa bientôt de penser à lui pour appliquer tout ce qu'elle pouvait avoir de perspicacité à sonder l'esprit de la jeune fille. Il venait de s'y révéler des profondeurs bien inattendues. Où avait-elle pris ses idées sur « ce que doit être un mari ? » Cet être idéal, selon Pâquerette, pouvait se passer de beauté ; surtout il ne devait pas être joli... Il n'avait pas besoin d'être amusant... il fallait que sa femme pût le respecter... qu'elle fût fière de lui donner le bras... qu'elle eût un peu peur de lui... enfin Pâquerette voulait du sérieux dans son ménage, tant de son côté que du côté de celui qu'elle reconnaissait d'avance pour son maître.... car elle avait l'air de comprendre que Charles Lantourny se laisserait mener par elle, et cela ne la tentait pas du tout. Ce portrait un peu austère de son futur seigneur avait-il donc un original, et Dangrune était-il dans le vrai en insinuant qu'elle aimait quelqu'un ?
dit Mlle Ollivier, répondit Pâquerette en passant son bras avec câlinerie autour du cou de Monique,
Pâquerette rougit, s'éloigna vivement de sa tante et prit un grand chapeau de paille qu'elle se mit sur la tête sans se regarder dans la glace.
et la jeune fille s'esquiva. Monique i'écouta descendre l'escalier.
se dit-elle.
Elle descendit raconter aux deux hommes restés dans le bosquet de lilas les propos étranges de Pâquerette.
demanda le docteur. interrompit Dangrune ; murmura M. Auribel, rêveur.
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