« M dit Reine Greffard, la fille du jardinier, élevée depuis peu aux fonctions de femme de chambre,
Reine détala prestement, et Mlle Monique posa sur la table le livre qu'elle lisait et remit ses lunettes dans leur étui. Puis elle appela Pâquerette, et toutes deux descendirent dans la salle à manger. Tous les dimanches, le docteur en revenant de sa tournée en ville, prenait dans sa voiture son vieil ami Dangrune et l'amenait passer la journée et la nuit à Bois-Guillaume ; il le reconduisait à Rouen le lundi matin.
Monique donnait un coup d'œil au couvert, et Pâquerette redressait quelques fleurs des jardinières, quand le docteur mit pied à terre devant la maison et entra dans le vestibule. On entendit un bruit de pas, un ordre : et la porte de la salle à manger s'ouvrit.
Monique faillit laisser tomber une carafe qu'elle changeait de place, et Pâquerette devint presque aussi pâle que le lilas blanc de sa jardinière. Il lui semblait que son cœur ne battait plus du tout, et elle resta un instant immobile, les yeux baissés vers les fleurs qu'elle ne voyait pas. Puis elle fit un effort, releva la tête et regarda Jean. C'était bien lui, très basané, excepté le front resté blanc sous la visière de la casquette ; il était un peu amaigri, et ses yeux bleus brillaient d'un vif éclat dans ce teint brun. Il répondait aux paroles de bienvenue de Mlle Ollivier, qui tenait ses deux mains serrées dans les siennes, il avait l'air attendri, et son regard errait ça et là : cherchait-il celui de Pâquerette, ou voulait-il l'éviter ? Il le rencontra, et, qu'il désirât ou non le taire, le secret de son cœur s'y laissa lire sans voile. Elle n'avait plus besoin qu'il parlât ; elle l'avait compris maîntenant ! Et elle serait plus brave qu'autrefois, elle ne le laisserait pas repartir ; elle avait deux ans de plus, et eIle n'était plus un enfant, puisqu'on la demandait en mariage !
Cependant Jean avait bien vite détourné les yeux. Pendant une seconde, il s'était laissé aller à la joie de la revoir : il s'en repentait déjà, et ce fut avec une politesse irréprochable, mais qui ne parlait nullement d'amour, qu'il salua Pâquerette et lui adressa quelques phrases banales. La pauvre enfant tombait du haut de son rêve ; elle avait peine à ne pas pleurer.
dit M. Auribel,
On déjeuna longuement, car en dépit de son progamme, le docteur posait sans cesse des questions à Jean, qui s'anima peu à peu et perdit sa raideur d'emprunt. Quand on eut un peu épuisé le Sénégal, on mit Jean au courant des nouvelles de Rouen. Il s'y trouvait des jeunes gens qu'il avait connus autrefois, au lycée de Caen, ou à Brest, et ses hôtes pensaient narellement qu'il ne serait pas fâché d'apprendre ce qu'ils étaient devenus. Quelqu'un prononça le nom de Charles Lantourny.
Ce nom jeta comme une douche sur la gaîté renaissante de Jean.
dit-il avec effort. répliqua vivement Pâquerette,
Jean respira. Pâquerette avait mis à parler de Lantourny une désinvolture qui signifiait clairement qu'elle ne se souciait pas de lui, et qu'il pouvait bien ne jamais revenir ; elle ne prendrait pas son deuil ! Elle n'était donc pas sa fiancée, comme il J'avait entendu dire ? Presque aussitôt, Jean se reprocha ce mouvement de joie : qu'est-ce que cela lui faisait, le mariage de Pâquerette ? Charles Lantourny ou un autre, il faudrait bien qu'elle finit par épouser quelqu'un... N'importe, il se trouvait débarrassé de l'angoisse qui lui avait étreint le cœur, lorsque à son débarquement une des premières nouvelles qu'on lui eût contées avait été « le prochain mariage du fils du baron Lantourny avec la charmante Mlle Auribel. »
On quitta la table, et comme à son premier retour, Jean présenta à ses amis les souvenirs qu'il leur rapportait. Il s'excusa de leur rusticité : les nègres, Peuls, Ouolofs ou Toucouleurs ne sont pas aussi habiles que les Chinois. Mais l'album destiné à Pâquerette fit pousser des cris d'admiration. Non seulement Jean avait joint à chaque fleur desséchée l'image à l'aquarelle de cette fleur dans toute sa beauté, mais encore il l'avait souvent accompagnée du paysage où il l'avait rencontrée.
dit-il ; s'écria Pâquerette rayonnante.
Jean s'inclina et la suivit. Elle s'éloigna d'abord très vite, mais bientôt elle ralentit le pas et marcha doucement près de lui.
lui dit-elle — et son regard timide et chargé de tendresse était bien plus éloquent que ses paroles. —
Elle parlait d'une voix caressante qui appelait un aveu. Mais Jean se fit de glace pour lui répondre :
répondit-elle impétueusement ; et elle prit sa course vers la serre où se trouvait Greffard, pour que Jean ne vît pas les larmes qui avaient jailli de ses yeux. Elle faisait tout son possible pour l'encourager, et il lui répondait comme s'il ne voulait pas comprendre. Sans doute, elle était sûre de ne pas être oubliée ! mais il y a manière de se souvenir... »
Elle était calme en apparence lorsqu'il la rejoignit, et elle assista silencieusement à sa conférence avec Greffard. Puis elle revint à petits pas, toujours silencieuse, retrouver le groupe des parents. Elle espérait que Jean engagerait de nouveau la conversation ; mais il semblait muet tout comme elle.
Pendant ce temps-là, on s'occupait d'eux autour du guéridon qui supportait les tasses à café. On les avait d'abord regardés s'éloigner, et tout naturellement l'idée était venue à ceux qui les regardaient qu'ils faisaient un bien joli couple. Jean, grand, et élancé, maigre, de la maigreur robuste de la jeunesse, mais brillant de santé et de vigueur en dépit du Sénégal ; Pâquerette, petite et délicate, avec ses contours arrondis et sa démarche légère, et le gracieux mouvement d'oiseau de sa fine tête qu'elle levait vers lui d'un air interrogateur.
dit Dangrune au docteur, murmura le père, tout rêveur.
Dangrune rougit comme un écolier pris en faute.
Le docteur ne répondit pas : il fronçait les sourcils comme un homme très mécontent. Certes, il était le premier à reconnaître le mérite de Jean Trémisort, et il avait pleine confiance en lui comme caractère et comme cœur ; mais son origine, sa mère... Pauvre Agathe ! elle était pourtant digne de son fils, et le docteur se reprochait ce mouvement d'orgueil, si peu d'accord avec les principes de toute sa vie... Et puis, serait-ce si gênant, cette belle-mère qui vivait dans un village de Normandie ? Beaucoup de familles riches et haut placées passeraient là-dessus, et donneraient sans hésiter leur fille au docteur Jean Trémisort..... Était-ce bien sûr que Pâquerette l'aimait ? A cette question, ses souvenirs répondaient d'une façon trop claire. La gaîté de sa fille, l'épanouissement de sa beauté, qu'il attribuait au bon air de Saint-Roch, et qui coïncidaient avec le séjour de Jean ; sa tristesse et la langueur qui l'avait inquiété ensuite; son émotion visible, tout à l'heure, à son arrivée... Serait-ce donc lui, le père, qui pour des considérations mondaines briserait le cœur de cette enfant idolâtrée et mettrait dans sa destinée la richesse et l'orgueil à la place du bonheur !
Le docteur songeait encore, lorsque les deux jeunes gens revinrent de leur conférence avec Greffard.
dit Jean ; Greffard a compris le terrain et l'exposition qu'il faut à mes plantes. J'espère que vous aurez bientôt le plaisir de les voir pousser. Il faut maintenant que je prenne congé de vous, si je veux arriver à Rouen pour l'heure du train. Ma mère m'attend ce soir.
— Ah ?... c'est trop juste... Adieu donc, mon ami... mes meilleurs souvenirs à Mme Trémisort. »
Jean serra la main qu'il lui tendait, puis celle de Monique et celle de Dangrune, et s'inclina en passant devant Pâquerette, qui se tenait debout, pâle, les mains pendantes à ses côtés et les yeux agrandis par l'angoisse. Il y avait du vague dans sa pauvre tête endolorie ; elle ne se rendait pas bien compte de ce qui se passait, elle sentait seulement qu'elle souffrait, et elle se demandait si vraiment Jean allait partir sans rien lui dire. Quand il eut disparu, et qu'elle eut entendu la grille se refermer sur lui, la tête lui tourna; sentant qu'elle allait tomber, elle étendit les bras pour chercher un appui, et saisit un dossier de fauteuil où ses doigts se crispèrent comme un ressort d'acier. Dangrune, effrayé de sa pâleur, l'enleva comme une plume sans qu'elle fit de résistance, et alla la déposer sur le canapé.
dit-il au docteur et à Monique qui se précipitaient vers elle ;
Pâquerette rouvrit bientôt lès yeux ; elle regarda les visages anxieux penchés au-dessus du sien, et sembla en chercher un autre... il n'y était plus, et la pauvre enfant, lasse de lutter et de dissimuler, s'abandonna à son chagrin et pleura comme une Madeleine.
disait son père à genoux devant elle, pendant que Monique, l'entourant de ses bras, couvrait ses clieveux de baisers en répétant : ajouta Dangrune en lui souriant ; et Pâquerette, vaincue, murmura en cachant son visage dans le sein de la vieille demoiselle : s'écria le docteur indigné. Il ne se souvenait plus des objections qu'il avait lui-même, tout à l'heure, élevées contre un mariage entre Jean et sa fille : qu'il y eût un obstacle du côté du jeune homme, cela lui semblait un peu fort.
Et il ajouta en radoucissant sa voix : et le docteur prit sa fille par les deux mains pour l'attirer vers lui. dit Dangrune d'un ton conciliant,
Pâquerette rougit et baissa la tête.
reprit tante Monique entremêlant ses paroles de caresses.
D'un bond, Pâquerette s'élança du canapé et sauta au cou de Dangrune.
lui dit-elle, riant et pleurant à la fois.
dit le professeur :
Chapitres:
lundi 12 novembre 2007
XVIII. Un convive inattendu. — Graines d'Afrique. — Il ne comprend pas ! — La fin du courage de Pâquerette. — Où Dangrune intervient.
Publié par jjoa à 10:00
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