Comme Jean l'avait prévu, le docteur Auribel ne fit d'objections que pour la forme. Les fiancés étaient si jeunes! Ils pouvaient attendre un an ou deux. Si pendant l'absence du jeune homme Pâquerette se détachait de lui, c'est que son amour n'aurait pas été bien solide ; si elle l'aimait toujours, le mariage se ferait dans de meilleures conditions, car le compagnon de Varnelle, l'explorateur déjà célèbre, rapporterait de ses voyages sa part de célébrité et ferait honneur à la famille où il entrerait. Restait la question des dangers inséparables d'une pareille expédition ; mais Jean était robuste, déjà fait au climat de l'Afrique, et Varnelle avait l'expérience des explorations dans ces régions ; il connaissait les mœurs et les idiomes des différentes peuplades qu'ils devaient rencontrer, les précautions à prendre contre le climat et les animaux nuisibles.
Et puis la science médicale de Jean devait lui faire des amis et les aider à trouver des vivres, des renseignements et des guides. Le docteur ne désapprouva donc pas le projet de Jean. lui dit-il,
En effet, Pâquerette se récria en apprenant que son fiancé voulait repartir. La quitter encore ! quand rien ne l'y forçait ! quand ils pouvaient être si heureux ! Que leur importait l'opinion des imbéciles ? Jean pouvait être bien sûr que tous les gens raisonnables, tous les gens de cœur approuveraient leur mariage, et alors, pourquoi s'inquièter de ce que diraient les autres ? Jean l'aimait donc bien peu, qu'il voulait s'éloigner d'elle pour des raisons si futiles ! Et sa mère ? il ne pensait donc pas au chagrin de sa mère ? Elle n'avait pas pu consentir de bon cœur à un pareil projet, certainement !
Le docteur et Jean l'écoutèrent sans lui répondre ; mais chacune de ses paroles déchirait le cœur du pauvre garçon, qui se maudissait lui-même et se trouvait bien ingrat de répondre à l'expression de son amour en lui causant une telle peine. Et, quand Pâquerette, à bout d'arguments, finit par fondre en larmes, Jean s'avoua vaincu. Il renoncerait à son dessein... mais au moment où la douleur de la jeune fille lui imposait cette résolution, il se sentit le cœur envahi par un découragement sans bornes. Les aspirations, ses rêves, l'avenir, son amour et Pâquerette elle-même lui apparurent tout à coup si obscurcis, si amoindris, qu'il lui sembla qu'un brouillard s'étendait sur l'univers et que ce n'était plus la peine de vivre......
lui dit-il tristement.
II se leva et sortit : il étouffait. A quelques pas de la maison, il rencontra Varnelle.
lui dit celui-ci, frappé de la tristesse de son visage.
Jean secoua la tête.
Ils s'étaient éloignés de la Mignonnette, et ne virent pas Pâquerette en sortir d'un pas hésitant, regarder autour d'elle, et, tout à coup, s'enfuir vivement du côté de la maison d'Agathe.
Lorsque que Jean l'avait quittée, elle avait mis un instant à comprendre qu'il cédait a ses pleurs; et quand elle s'en était rendu compte, elle s'était trouvée comme suffoquée de sa victoire. Comme il lui avait parlé sérieusement ! presque sévèrement....... Et puis, ses derniers mats, c'était un reproche. Un reproche à elle! de lui qu'elle aimait tant ! Pâquerette, par caractère, était douce et docile ; et de plus, son amour lui faisait considérer Jean comme ayant toujours raison. Elle l'avait donc mérité, ce reproche? elle avait eu tort ? elle l'avait blessé, affligé ? A cette pensée, la pauvre enfant avait senti les larmes lui remonter aux yeux. Puis une idée lui était venue ; Jean avait dit : « Ma mère m'a mieux compris que vous. » Agathe avait donc consenti ? et pourtant comme elle aimait son fils ! Et Jean, comparant leurs deux tendresses, se trouvait mieux compris, — cela voulait dire mieux aimé, sans doute — par sa mère que par sa fiancée. Pâquerette eut un mouvement de jalousie contre la mère Agathe.
Mais c'était toujours à Jean que revenaient ses pensées, « Je ne l'ai pas compris, » se dit-elle, et elle eut envie de le rappeler pour lui demander de nouvelles explications. Mais elle n'osa pas ; et elle se décida alors à aller trouver Agathe. Il lui restait encore un petit espoir que Jean se fût trompé sur les sentiments de sa mère : si elles étaient du même avis, comme elles seraient fortes contre lui, à elles deux !
Quant Agathe la vit entrer, elle lui ouvrit ses bras sans rien dire, et l'enfantt s'y jeta éperdument en se remettant à pleurer : la vue seule de la vieille femme lui avait ôté son espoir.
lui dit-elle en sanglotant,
Agathe soupira profondément.
Pâquerette, la tête penchée, réfléchissait. Elle ne pleurait plus, mais par instants un sanglot soulevait encore sa poitrine oppressée. .
murmura-t-elle,
A ce moment la porte s'ouvrit, et Jean entra, suivi de Varnelle, qui, voyant Pâquerette, s'arrêta de peur d'être indiscret. Mais la jeune fille le rappela du geste, et alla droit à son fiancé !
lui dit-elle timidement.
Il saisit ses deux petites mains qu'il couvrit de baisers en balbutiant :
Pâquerette leva vers lui ses grands yeux encore humides. Ceux de Jean rayonnaient d'enthousiasme. Que voyait-il donc dans l'avenir ? De brillants travaux, des découvertes, de la gloire, son nom devenu célèbre, et sa Pâquerette rougissant d'orgueil en entendant murmurer sur son passage : « C'est la femme du docteur Jean Trémisort ! » Hélas, que c'était loin ! Un an ou dix-huit mois seulement, disait-on : mais cela paraît une éternité, à l'àge qu'avait Pâquerette. Et puis, de quoi seraient-ils remplis, ces mois d'absence ? n'était-il pas noir de dangers de toutes sortes, cet inconnu terrible qui les séparait du bonheur ? ce bonheur qu'elle croyait toucher avec la main !
Elle avait consenti, elle n'ôsa plus s'en dédire. Elle écouta avec un sourire navré les tendres paroles de son fiancé ; et lorsqu'elle eut assez raffermi son pauvre cœur pour envisager tous ces détails douloureux de la séparation, elle demanda quand on partirait, en quelle qualité Jean serait attaché à l'expédition, où on irait, ce qu'on ferait, ce qu'on emporterait. Varnelle répondit sans embarras ; il pouvait choisir ses compagnons, il allait désigner le docteur Trémisort, que le ministre attacherait tout de suite à sa mission avec des avantages importants; ils auraient une escorte suffisante pour assurer leur sécurité ; il connaissait déjà assez le pays et les habitants pour savoir se conduire et éviter les imprudences. Quant à dire où on irait, il alla chercher ses cartes, qu'il emportait partout, parce qu'il les étudiait sans cesse, et les étala sur la table, traçant du doigt à travers l'Afrique la direction de leur voyage, montrant les rivières a traverser, nommant les peuplades amies, indifférentes ou hostiles, expliquant comment il fallait s'y prendre avec les unes et les autres. Pour lui, c'étaient là des choses toutes simples : il ne cherchait pas à dissimuler les dangers, parce que l'idée des dangers ne se présentait même pas à son esprit. Mais si le peu d'instruction d'Agathe la défendait contre de trop vives inquiétudes, la pauvre Pâquerette, plus clairvoyante qu'elle, frissonnait jusqu'au fond du coeur. Pourtant Varnelle avait tenté des voyages aussi dangereux, et il en était revenu; et jamais il n'était parti aussi bien escorté, aussi protège, aussi bien pourvu de toutes choses, sans compter l'expérience des précédentes expéditions. Pâquerette se dit tout cela, et s'efforça de se rassurer : Varnelle paraissait si sûr de lui qu'il lui inspirait confiance, quoiqu'elle en eût. Aussi, lorsqu'il eut fini son tracé idéal, aller et retour, et qu'il replia ses cartes en disant comme conclusion :
Pâquerette, sans se montrer touchée de cette joie future, prit sa main qu'elle serra et lui dit d'un ton suppliant :
Varnelle, ému, lui rendit son étreinte.
lui répondit-il,
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samedi 24 novembre 2007
XXIV.- Mère et fiancée. — La promesse de Varnelle.
Publié par jjoa à 10:00
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