Chapitres:

samedi 24 novembre 2007

XXIV.- Mère et fiancée. — La promesse de Varnelle.

Comme Jean l'avait prévu, le docteur Auribel ne fit d'objections que pour la forme. Les fiancés étaient si jeunes! Ils pouvaient attendre un an ou deux. Si pendant l'absence du jeune homme Pâquerette se détachait de lui, c'est que son amour n'aurait pas été bien solide ; si elle l'aimait toujours, le mariage se ferait dans de meilleures conditions, car le compagnon de Varnelle, l'explorateur déjà célèbre, rapporterait de ses voyages sa part de célébrité et ferait honneur à la famille où il entrerait. Restait la question des dangers inséparables d'une pareille expédition ; mais Jean était robuste, déjà fait au climat de l'Afrique, et Varnelle avait l'expérience des explorations dans ces régions ; il connaissait les mœurs et les idiomes des différentes peuplades qu'ils devaient rencontrer, les précautions à prendre contre le climat et les animaux nuisibles.

Et puis la science médicale de Jean devait lui faire des amis et les aider à trouver des vivres, des renseignements et des guides. Le docteur ne désapprouva donc pas le projet de Jean.

« Je ne veux pas te retenir, lui dit-il, quoique nous ne tenions pas du tout, Pâquerette et moi, à ce que tu deviennes célèbre : tu sais bien que nous t'aimons pour toi-même, tel que tu es. Mais puisque tu ne te sens pas la force de supporter les propos des sots, pars donc ! je ne peux pas blâmer ton ambition, et je tâcherai de t'aider à persuader Pâquerette. Ce ne sera peut-être pas facile : les jeunes filles ont leur manière de raisonner sur ces choses-là, qui ne ressemble pas à la nôtre..... »

En effet, Pâquerette se récria en apprenant que son fiancé voulait repartir. La quitter encore ! quand rien ne l'y forçait ! quand ils pouvaient être si heureux ! Que leur importait l'opinion des imbéciles ? Jean pouvait être bien sûr que tous les gens raisonnables, tous les gens de cœur approuveraient leur mariage, et alors, pourquoi s'inquièter de ce que diraient les autres ? Jean l'aimait donc bien peu, qu'il voulait s'éloigner d'elle pour des raisons si futiles ! Et sa mère ? il ne pensait donc pas au chagrin de sa mère ? Elle n'avait pas pu consentir de bon cœur à un pareil projet, certainement !

Le docteur et Jean l'écoutèrent sans lui répondre ; mais chacune de ses paroles déchirait le cœur du pauvre garçon, qui se maudissait lui-même et se trouvait bien ingrat de répondre à l'expression de son amour en lui causant une telle peine. Et, quand Pâquerette, à bout d'arguments, finit par fondre en larmes, Jean s'avoua vaincu. Il renoncerait à son dessein... mais au moment où la douleur de la jeune fille lui imposait cette résolution, il se sentit le cœur envahi par un découragement sans bornes. Les aspirations, ses rêves, l'avenir, son amour et Pâquerette elle-même lui apparurent tout à coup si obscurcis, si amoindris, qu'il lui sembla qu'un brouillard s'étendait sur l'univers et que ce n'était plus la peine de vivre......

« Ne pleurez plus, Pâquerette, lui dit-il tristement. Je vous appartiens, je ne l'oublie pas je vous obéirai. Mais ma mère m'avait mieux compris que vous. »

II se leva et sortit : il étouffait. A quelques pas de la maison, il rencontra Varnelle.

« Eh bien ? » lui dit celui-ci, frappé de la tristesse de son visage.

« Hé bien, elle ne veut pas.... elle pleure.... Au point où nous en sommes, je ne peux pas partir contre sa volonté.... Le sort en est jeté, je porterai cette chaîne toute ma vie !

— Calme-toi, mon pauvre ami.... elle saura te la faire trouver douce.... je t'avais approuvé, peut-être par égoïsme, pour t'emmener avec moi ; mais nous n'avions pas assez songé à elle. Voyons, Jean, du courage, et brave les coups d'épingle ! Pour être heureux, tu n'as qu'à le vouloir fermement. »


Jean secoua la tête.

« Et elle, combien de temps sera-t-elle heureuse ? »

Ils s'étaient éloignés de la Mignonnette, et ne virent pas Pâquerette en sortir d'un pas hésitant, regarder autour d'elle, et, tout à coup, s'enfuir vivement du côté de la maison d'Agathe.

Lorsque que Jean l'avait quittée, elle avait mis un instant à comprendre qu'il cédait a ses pleurs; et quand elle s'en était rendu compte, elle s'était trouvée comme suffoquée de sa victoire. Comme il lui avait parlé sérieusement ! presque sévèrement....... Et puis, ses derniers mats, c'était un reproche. Un reproche à elle! de lui qu'elle aimait tant ! Pâquerette, par caractère, était douce et docile ; et de plus, son amour lui faisait considérer Jean comme ayant toujours raison. Elle l'avait donc mérité, ce reproche? elle avait eu tort ? elle l'avait blessé, affligé ? A cette pensée, la pauvre enfant avait senti les larmes lui remonter aux yeux. Puis une idée lui était venue ; Jean avait dit : « Ma mère m'a mieux compris que vous. » Agathe avait donc consenti ? et pourtant comme elle aimait son fils ! Et Jean, comparant leurs deux tendresses, se trouvait mieux compris, — cela voulait dire mieux aimé, sans doute — par sa mère que par sa fiancée. Pâquerette eut un mouvement de jalousie contre la mère Agathe.

Mais c'était toujours à Jean que revenaient ses pensées, « Je ne l'ai pas compris, » se dit-elle, et elle eut envie de le rappeler pour lui demander de nouvelles explications. Mais elle n'osa pas ; et elle se décida alors à aller trouver Agathe. Il lui restait encore un petit espoir que Jean se fût trompé sur les sentiments de sa mère : si elles étaient du même avis, comme elles seraient fortes contre lui, à elles deux !

Quant Agathe la vit entrer, elle lui ouvrit ses bras sans rien dire, et l'enfantt s'y jeta éperdument en se remettant à pleurer : la vue seule de la vieille femme lui avait ôté son espoir.

« Mère Agathe, lui dit-elle en sanglotant, vous savez ? il vous a dit ? Il veut partir avec M. Varnelle..... les sauvages le tueront, et nous ne le reverrons plus ! Je ne veux pas qu'il parte ! Défendez-lui de partir ! »

Agathe soupira profondément.

« Je ne peux pas, ma fille..... Jean est un homme, il sait ce qu'il a à faire..... Il m'a tout expliqué : je ne sais pas s'il a raison, mais je suis sûre qu'il serait malheureux s'il restait..... Les hommes ont leur orgueil, voyez-vous, ma pauvre petite : ils sont très sensibles à ce qu'on dit d'eux. Et vous aussi, vous ne pouvez pas vous empêcher d'y être sensible ; vous le sentez bien, puisque vous n'avez plus voulu retourner au Casino, où vous comptiez tant vous amuser, de peur d'entendre encore de mauvaises paroles..... Eh bien, ce serait comme cela toute votre vie ; vous auriez continuellement des ennuis, ou Jean s'imaginerait que vous en auriez ; il n'aurai de tranquillité dans son bonheur.

— Non, non, cela n'arriverait pas ! c'est pour lui, ce n'est pas pour moi que j'ai craint..... Moi, je sais si bien ce qu'il vaut ! je suis si fière de lui, mère Agathe !

— Oui : et c'est pour cela que vous souffririez de le voir mal jugé par d'autres. Je comprends bien cela, moi ! quand mon pauvre Germain vivait, j'étais glorieuse de sa bonne renommée ; et si on l'avait traité devant moi de malhonnête homme, ou seulement de mauvais matelot ou de pêcheur maladroit, j'en aurais été désolée et honteuse, et pourtant ça n'aurait pu être que des menteries. Laissez Jean aller où il veut : quand il reviendra, personne n'aura plus rien à dire, vous serez encore plus fière de lui, et il pourra être tout à fait heureux. »


Pâquerette, la tête penchée, réfléchissait. Elle ne pleurait plus, mais par instants un sanglot soulevait encore sa poitrine oppressée. .

« Oh ! murmura-t-elle, il aurait été si facile d'étré heureux tout de suite ! »

A ce moment la porte s'ouvrit, et Jean entra, suivi de Varnelle, qui, voyant Pâquerette, s'arrêta de peur d'être indiscret. Mais la jeune fille le rappela du geste, et alla droit à son fiancé !

« Pardon, Jean ! lui dit-elle timidement.

— Pardon, ma chère petite bien-aimée ! que puis-je avoir à vous pardonner ? c'est à moi de vous demander pardon, puisque je vous ai fait pleurer.

— Non... vous ne pensez pas ce que vous dites. Je vous ai fait de la peine, j'ai parlé comme une petite fille déraisonnable... et pourtant je ne veux que votre bonheur, Jean : oh ! votre bonheur par-dessus tout..... C'est de l'égoïsme de ma part, parce que, voyez-vous, je ne peux pas être heureuse si vous n'êtes pas heureux..... Votre mère m'a parlé..... je ne veux pas vous laisser croire qu'elle sait vous aimer mieux que moi... Partez, Jean : je vous promets d'avoir du courage..... »


Il saisit ses deux petites mains qu'il couvrit de baisers en balbutiant : « Et moi... croyez-vous qu'il ne me faut pas aussi du courage, à moi ? Mais je le dois... vous verrez comme nous en serons récompensés ! »

Pâquerette leva vers lui ses grands yeux encore humides. Ceux de Jean rayonnaient d'enthousiasme. Que voyait-il donc dans l'avenir ? De brillants travaux, des découvertes, de la gloire, son nom devenu célèbre, et sa Pâquerette rougissant d'orgueil en entendant murmurer sur son passage : « C'est la femme du docteur Jean Trémisort ! » Hélas, que c'était loin ! Un an ou dix-huit mois seulement, disait-on : mais cela paraît une éternité, à l'àge qu'avait Pâquerette. Et puis, de quoi seraient-ils remplis, ces mois d'absence ? n'était-il pas noir de dangers de toutes sortes, cet inconnu terrible qui les séparait du bonheur ? ce bonheur qu'elle croyait toucher avec la main !

Elle avait consenti, elle n'ôsa plus s'en dédire. Elle écouta avec un sourire navré les tendres paroles de son fiancé ; et lorsqu'elle eut assez raffermi son pauvre cœur pour envisager tous ces détails douloureux de la séparation, elle demanda quand on partirait, en quelle qualité Jean serait attaché à l'expédition, où on irait, ce qu'on ferait, ce qu'on emporterait. Varnelle répondit sans embarras ; il pouvait choisir ses compagnons, il allait désigner le docteur Trémisort, que le ministre attacherait tout de suite à sa mission avec des avantages importants; ils auraient une escorte suffisante pour assurer leur sécurité ; il connaissait déjà assez le pays et les habitants pour savoir se conduire et éviter les imprudences. Quant à dire où on irait, il alla chercher ses cartes, qu'il emportait partout, parce qu'il les étudiait sans cesse, et les étala sur la table, traçant du doigt à travers l'Afrique la direction de leur voyage, montrant les rivières a traverser, nommant les peuplades amies, indifférentes ou hostiles, expliquant comment il fallait s'y prendre avec les unes et les autres. Pour lui, c'étaient là des choses toutes simples : il ne cherchait pas à dissimuler les dangers, parce que l'idée des dangers ne se présentait même pas à son esprit. Mais si le peu d'instruction d'Agathe la défendait contre de trop vives inquiétudes, la pauvre Pâquerette, plus clairvoyante qu'elle, frissonnait jusqu'au fond du coeur. Pourtant Varnelle avait tenté des voyages aussi dangereux, et il en était revenu; et jamais il n'était parti aussi bien escorté, aussi protège, aussi bien pourvu de toutes choses, sans compter l'expérience des précédentes expéditions. Pâquerette se dit tout cela, et s'efforça de se rassurer : Varnelle paraissait si sûr de lui qu'il lui inspirait confiance, quoiqu'elle en eût. Aussi, lorsqu'il eut fini son tracé idéal, aller et retour, et qu'il replia ses cartes en disant comme conclusion :

« Et une fois là, nous n'aurons plus qu'à remonter sur un paquebot qui nous ramènera en Europe, nous et notre gloire ! » Pâquerette, sans se montrer touchée de cette joie future, prit sa main qu'elle serra et lui dit d'un ton suppliant :

« Monsieur Varnelle, vous aurez bien soin de lui et vous me le ramènerez ! vous me le promettez ? »

Varnelle, ému, lui rendit son étreinte.

« C'est votre bonheur que vous me confiez, Mademoiselle, lui répondit-il, et rien n'est plus précieux que le bonheur. Je vous promets de veiller sur lui et de ne jamais le quitter... et cela me vaudra une part dans vos prières, car, je vous le jure, je ne reviendrai pas sans lui ! »

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