Le dîner venait de finir ; avec le fin cidre mousseux, champagne de la Normandie, on avait bu à la santé des fiancés, rayonnants de beauté, de jeunesse et d'amour, que les parents contemplaient d'un œil attendri. On avait rappelé mille souvenirs, mille petites circonstances dont le sens se révélait maintenant ; on s'était réjoui du présent et plus encore de l'avenir ; et comme le vrai bonheur n'est pas un hôte bruyant et qu'il en a vite assez de la gaîté expansive, la conversation commençait à languir. Par la fenêtre ouverte, la brise apportait la bonne odeur des pommiers fleuris ; et dans le ciel encore rose des derniers reflets du soleil couchant, le léger croissant de la lune nouvelle brillait blanc et pur comme s'il eût été taillé dans le diamant. Pâquerette remplit le silence rêveur qui régnait depuis un instant.
dit-elle :
Un désir de Pâquerette, c'était un ordre pour tous les convives : ils se levèrent. La jeune fille se laissa entortiller dans une grande écharpe de laine blanche, précaution contre la fraîcheur du soir, qu'elle sut disposer de la façon qui siérait le mieux à son charmant visage.
dit M. Auribel.
Pâquerette obéit, joyeuse et émue. Cela lui était arrivé d'autres fois, de donner le bras à Jean : mais ce n'était pas la même chose... Ils s'en allèrent sur la route bordée de talus verdoyants et fleuris. Dans l'ombre du soir, les grands pommiers paraissaient tout blancs comme d'énormes bouquets de mariée; par moments un chemin, une petite vallée qui se creusait vers la gauche laissait voir la mer sombre, où la lune traçait son mince sillon lumineux tremblotant sur les flots, et au-dessus d'elle dans le ciel clair, quelques petites étoiles qui s'efforçaient d'apparaitre ; tandis qu'à droite, les coteaux couronnés d'arbres touffus se détachaient sur un azur presque noir, tout étincelant de constellations. Le silence de la nuit s'étendait déjà sur toutes choses, ce silence plein de vie ou l'esprit, autant que l'oreille, perçoit une harmonie indéfinissable, faite du mouvement incessant des êtres animés, oiseaux qui se remuent dans leurs nids, insectes qui se glissent entre les herbes, gouttes d'eau qui se frayent un chemin parmi les pierres, feuilles sèches qui tombent, poussées par les feuilles naissantes. Jean et Pâquerette marchaient légèrement, comme soulevés par leur joie intime et profonde : cette belle nuit, cette nature sérieuse et douce, n'étaient-elles pas faites exprès pour bercer leur jeune amour ? Parfois la jeune fille s'appuyait sur le bras de son fiancé, elle se faisait lourde, pour qu'il sentit bien qu'elle était là : lui, alors, serrait doucement la petite main qu'il avait prise dans la sienne, et, songeant à ses chagrins passés, il les trouvait trop payés par cette soirée bienheureuse.
murmura Pâquerette,
Sa bien-aimée ! quelle douce parole ! c'était à elle qu'il l'adressait... et il en avait le droit, puisqu'elle allait être sa femme ! Sa bien-aimée !
reprit-elle,
II souriait de sa folie d'autrefois ; et Pâquerette répondit à son sourire par un éclat de rire argentin. Il reprit.
Pâquerette releva fièrement la tête.
Elle continua à lui dérouler de gracieux plans d'aménagement intérieur, se plaisant à entrer dans le détail de leur vie à deux, sans oublier les vieux parents qui ne seraient jamais loin, qu'on reverrait dix fois par jour et davantage, qu'on aimerait, qu'on soignerait, qu'on rendrait heureux. disait Pâquerette : Jean l'écoutait en souriant. redisait-il après elle ; et son cœur pénétré de reconnaissance s'élançait vers ceux qui l'avaient dit, ce mot ! Où étaient les orages de son cœur ? Loin, bien loin, évanouis, dissipés à jamais par le radieux soleil de l'amour ! Son bonheur était si grand que par moments il s'en trouvait comme écrasé et que son cœur cessait de battre. Il aurait voulu fixer à jamais cette heure bénie. Oh ! la coupe de joie et d'extase était pleine, pleine à déborder : que pourrait y ajouter l'avenir ? Cette pensée mélancolique des Anciens, que lorsqu'on meurt jeune, on est aimé des dieux, traversa l'esprit de Jean : ne serait-il pas doux de disparaître en plein bonheur, et de n'avoir plus rien à redouter de la vie ? Mais le jeune homme n'était point un rêveur, et il repoussa loin de lui ce fantôme importun. La vie lui gardait bien d'autres joies, ennoblies et sanctifiées par le devoir ; et il se vit, après ses journées laborieuses, jouissant d'un doux repos auprès de sa Pâquerette bien-aimée ; il vit son foyer réjoui par des voix mélodieuses et des visages roses de petits enfants qu'Agathe berçait sur ses genoux ; il se vit, bien loin dans l'avenir, vieillard à cheveux blancs, honoré et respecte de tous, pendant que Pâquerette, vieillie et blanchie elle aussi, mais toujours aimante et aimée, faisait un paradis de leur maison à un petit peuple de charmants lutins qui l'appelaient grand'mère, et à qui elle racontait en souriant la fraîche histoire de leurs amours.... Et, rapprochant cette longue perspective de joie qui se déroulait devant lui avec les tristes années écoulées, il redisait après Pâquerette:
Les fiancés étaient devenus silencieux, mais leurs âmes n'avaient pas besoin de paroles pour se comprendre.
La lune avait disparu, et les dernières lueurs du couchanti n'éclairaient plus le ciel assombri, où des millions d'étoiles brillaient maintenant de leur éclat le plus pur ; on entendait au loin le murmure de la mer qui montait. Un merle, niché dans un peuplier, lança aux échos ses notes flûtées. Pâquerette s'arrêta pour l'écouter : ce chant clair et gai répondait bien à l'allégresse de son cœur.
dit-elle à Jean. répondit Jean en riant.
Le groupe des parents, les voyant arrêtés, avait pressé le pas pour les rejoindre. Par habitude, Mlle Ollivier tâta le châle qui couvrait la tête et les épaules de Pâquerette.
dit-elle avec inquiétude ; ajouta-t-elle timidement comme si elle sentait du remords de faire le personnage de trouble-fête.
répondit Pâquerette en soupirant, et on reprit le chemin du village. Toutes les lumières étaient éteintes, le silence régnait partout; à peine un chien de garde aboyait-il au bruit des pas. On arriva à la porte de la Mignonnette. Le docteur tendit la main à Agathe et à son fils, et Pâquerette présenta son front à la veuve.
Jean ne dit rien, mais il pressa la petite main qu'elle avait glissée dans la sienne, de façon à lui faire comprendre que pour lui aussi, c'était le plus beau jour de sa vie.
Chapitres:
vendredi 16 novembre 2007
XX.- Au clair de la lune. — Bonne nuit !
Publié par jjoa à 10:00
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire