dit un jour Pâquerette.
Mlle Monique la regarda avec des yeux ronds d'étonnement.
Les désirs de Pâquerette étaient dés ordres ; un quart d'heure après, on était en route pour Trouville. La jeune fille avait employé ce quart d'heure à sa toilette, et elle était bien jolie avec une légère robe de lainage blanc et un grand chapeau de paille où s'enroulait un long voile de gaze rose pâle. A Trouville, sur les planches qu'elle voulut suivre dans toute leur longueur les têtes se retournaient pour la regarder encore quand elle avait passé. Elle avait pris le bras de Jean, et à eux deux ils avaient si bien l'air d'une idylle, que les gens d'âge les saluaient d'un sourire discret et bienveillant. Pâquerette était ravie ; elle trouvait tout charmant, le ciel, la mer, les programmes des concerts et des représentations annoncées, les enfants qui jouaient dans le sable et les toilettes des dames assises sous de grands parasols, leur tapisserie ou leur éventail à la main. Elle prit une chaise elle aussi et vint se placer près de Mlle Ollivier qui se reposait en compagnie de Varnelle. Jean se mit à son côté, et ils commencèrent à échanger leurs remarques sur la procession de promeneurs qui défilait devant eux sur les planches.
Ce n'était pas encore le plein de la saison d'été; la plupart des familles parisiennes, surtout de celles dont les enfants étaient dispersés dans des établissements d'éducation, attendaient le 1er août pour envahir les plages. Le public de Trouville se composait surtout d'habitants des villes ou des châteaux normands, pressés de venir y chercher la fraîcheur de la mer et de la brise. Ils se réunissaient en groupes de la même ville ou de la même société, et causaient comme dans un salon, échangeant des réflexions critiques sur les allants et venants: il n'en était guère qui ne fussent connus par quelqu'un au moins de nom, et les biographies plus ou moins véridiques allaient leur train. Pâquerette fut remarquée bien vile, et dans tous les groupes voisins du sien on commença à chercher qui elle pouvait être.
disait un monsieur entre deux âges, qui promenait sa lorgnette sur les jeunes femmes, sous prétexte de regarder au loin les barques de pêche.
La femme à qui il s'adressait prit un air pincé, comme si elle eût trouvé mauvais qu'on regardât un autre visage que le sien.
répondit-elle d'un ton sec. dit une dame qui tricotait une dentelle interminable en regardant tout autre chose que son ouvrage.
M. Delaloy, notaire à Caen, honnête homme très malheureux, car il était continuellement combattu entre son penchant naturel à bavarder et son respect pour le secret professionnel, racontait en ce moment une histoire, avec beaucoup d'animation, à un groupe très attentif, et son récit l'occupait trop pour qu'il s'aperçût des signes que lui faisait la dame. Ce fut un de ses auditeurs qui les remarqua, lorsque l'histoire fut finie.
dit-il au notaire ; jamais aucun télégraphe ne s'est donné tant de mouvement ! »
M. Delaloy tourna vivement la tête et le sourire qui éclaira la figure de Mme de Navaud lui fit comprendre que c'était bien à lui qu'elle en voulait. Il accourut.
lui dit-elle.
Le notaire partit vivement, et Mme de Navaud et M. Charicy, qui le suivaient des yeux, le virent bientôt aborder le jeune Lantourny. Il leur sembla que celui-ci lui faisait une réponse brève, et se séparait ensuite de lui avec la hâte d'un homme qui n'a pas envie d'en dire davantage.
dit en riant M. Charicy :
M. Charicy dirigea sa lorgnette vers le groupe désigné.
En effet, Mlle Ollivier, ayant consulté sa montre, avait déclaré qu'il était temps de partir, si l'on voulait dîner de bonne heure et se procurer une voiture pour revenir le soir. Il y avait au Casino une jolie représentation ; on jouait le Luthier de Crémone et plusieurs musiciens, chanteurs et instrumentistes, devaient se faire entendre.
Chacun sait qu'il y a en ce monde beaucoup de gens qui n'ont apparemment rien à faire, et qui passent leur temps à s'occuper des faits et gestes d'autrui. Quel puits de science ils seraient devenus, s'ils avaient consacré à s'instruire les heures nombreuses qu'ils ont perdues à s'enquérir de choses qui ne les regardaient point ! M. Delaloy employa bien son temps, depuis quatre heures jusqu'à huit, et il arriva au Casino tout prêt à vider sa botte de renseignements.
Il faisait très chaud, et on étouffait dans la salle ; aussi, ni la musique ni la pièce n'avaient le pouvoir d'y retenir les spectateurs, qui venaient à chaque instant respirer l'air du soir et jouir du clair de lune sur la mer.
Des groupes se formaient sur la terrasse, qui ne songeaient plus à rentrer; selon eux, la chanteuse chantait faux et le violon grinçait par suite de la chaleur, ils ne valaient pas qu'on s'exposât à fondre en eau pour les entendre. Pâquerette avait chaud elle aussi; elle était encore à l'âge où l'on ne veut rien perdre d'une représentation, mais elle profila d'un entr'acte pour prier son père, arrivé le jour même pour le dîner, de lui faire faire un tour de terrasse. Varnelle et Jean les suivirent : Mlle Monique déclara que la fuite de tant de déserteurs allait nécessairement rafraîchir la salle, et que cela suffirait à son bien-être : elle resta à sa place.
Quelques-uns de ces déserteurs, n'ayant nulle envie de retourner au concert, étaient descendus sur les planches et s'y étaient installés sur des chaises, juste le long du mur de la terrasse. Ils formaient un groupe assez nombreux, où l'on causait bruyamment, et leur conversation n'avait rien de mystérieux pour les promeneurs qui Iongeaient la balustrade au-dessus d'eux. Pâquerette, en y passant au bras de son père, entendit son nom : elle s'arréta, et fit signe à ses compagnons de demeurer silencieux.
disait M. Delaloy, répliqua une autre voix.
dit une voix masculine.
répondit une dame, dit sentencieusement un monsieur. interrompit Mme de Navaud, s'empressa de dire une autre dame. interrompit une vieille dame avec l'accent de satisfaction profonde familier aux gens qui peuvent ajouter à un récit quelque circonstance inédite,
Un chœur de rires arriva jusqu'à la terrasse. M. Auribel voulut emmener sa fille, mais elle se cramponna à la balustrade.
reprit quelqu'un en bas, répliqua le notaire, dit Mme de Navaud :
II y eut dans le groupe un murmure approbatif. Le défenseur de Jean y mit fin en rappelant que le moment approchait où le baryton devait chanter la sérénade de la damnation de Faust, qu'il chantait divinement. On entendit un bruit de chaises remuées, puis des pas montèrent l'escalier de la terrasse. Alors seulement Pâquerette quitta la balustrade.
dit-elle très haut à son fiancé.
Elle s'attacha à son bras et l'entraîna en haut de l'escalier, de façon que ceux qui le montaient fussent obligés de passer devant eux. Elle resta là jusqu'à ce que le dernier eût défilé, se tenant droite, dans une pose fière, très pâle sous la clarté de la lune, et les regardant en face l'un après l'autre avec des yeux étincelants d'indignation et d'orgueil. Tous détournaient la tête d'un air embarrassé ; un seul répondit à son regard par un salut respectueux. Elle lui adressa un sourire reconnaissant ;
elle avait deviné celui qui avait pris la défense de son amour.
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